mardi 02 mai 2023
by welPop Team
Le nouvel atelier de maroquinerie d’Hermès en Normandie est à la fois une beauté architecturale et une prouesse de conception intelligente et respectueuse de l’environnement. Mais au cœur de cet atelier se trouve une approche de l’artisanat centrée sur l’homme, qu’Hermès incarne.
Nous le savons : l’obtention d’un sac Hermès nécessite une patience monumentale. Il y a une sorte de danse de l’approvisionnement à laquelle il faut se préparer pour être dans la course à l’achat d’un sac de quota convoité, comme un Hermès Kelly ou un Birkin. Il y a quelques bonnes raisons à cela, mais il s’agit surtout d’une demande qui dépasse largement l’offre – un problème heureux pour toute entreprise.
Nous avons pu le constater lors de notre visite au 24 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Cette adresse célèbre abrite depuis 1880 la boutique phare d’Hermès ainsi que son atelier de sellerie en cuir. Comme toute boutique, l’intérieur est décoré de vitrines présentant les dernières créations d’Hermès dans ses multiples univers, du prêt-à-porter à l’équitation. La section des sacs en cuir, au deuxième étage, n’échappe pas à la règle, avec des pièces aux teintes et aux matières variées qui remplissent des vitrines transparentes. La différence : chaque pièce est uniquement destinée à être exposée, comme le montre le petit panneau métallique qui accompagne presque tous les sacs.
Il est compréhensible de soupçonner Hermès d’utiliser la tactique de la rareté, en limitant intentionnellement l’offre de manière à ce que la possession d’une pièce devienne encore plus convoitée. La vérité est plus simple. Un article en cuir Hermès est entièrement fabriqué à la main. La fabrication d’un sac prend généralement une vingtaine d’heures, ce qui équivaut à un sac par artisan et par semaine.
Des plans sont déjà en place pour augmenter la production tout en conservant l’accent mis par Hermès sur le travail manuel méticuleux. Depuis 2020, la maison a annoncé à plusieurs reprises l’ouverture de cinq nouveaux ateliers de maroquinerie d’ici 2026 dans différentes régions de France. Ils seront associés à des agences pour l’emploi et à des établissements d’enseignement français dans le cadre de la stratégie de recrutement et de formation de la maison.
Le premier de ces cinq ateliers – et le vingt-et-unième à ce jour – a été officiellement inauguré le 7 avril 2023. La Maroquinerie de Louviers constitue également le deuxième site en Normandie et forme, avec la Maroquinerie de Val-de-Reuil (créée en 2017), le pôle normand d’Hermès.
De loin, la Maroquinerie de Louviers ne ressemble en rien à ce que l’on pourrait attendre d’un atelier de maroquinerie. L’architecture est tout sauf industrielle – pas de façade froide, presque clinique, et elle ne se fond absolument pas dans les bâtiments environnants du quartier. Le concept est l’œuvre de l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh, connue pour son approche humaniste de l’architecture. Le premier élément distinctif de la Maroquinerie de Louviers est constitué par les arcs qui suivent le périmètre du bâtiment. Ensemble, ils rappellent la trajectoire continue d’un cheval qui saute – un insigne clé d’Hermès. Bien que cela ne soit pas visible au niveau du sol, l’atelier de 6 200 m2 a la forme d’un carré, ce qui rappelle une autre icône d’Hermès : le carré de soie.
Il s’agit là des seules connexions littérales avec Hermès ; les autres sont plus nuancées. Conformément à la vision de la maison, la conception de Ghotmeh a pris en compte autant d’aspects écologiques que possible, tant pendant la phase de construction que dans le cadre des activités quotidiennes du bâtiment achevé.
« L’une des ambitions était de construire un bâtiment très écologique et de pousser encore plus loin la relation avec la nature, jusqu’à une symbiose totale », dit Ghotmeh. « Une chose qui m’est très chère est de savoir comment nous pouvons vraiment faire fonctionner l’architecture en synchronisation avec la nature. Ici, ce n’est pas seulement la forme du bâtiment qui y contribue, mais toute sa technicité. Si vous montez sur le toit, vous verrez les entrailles du bâtiment, comment il fonctionne et comment il est optimisé en utilisant des énergies propres. »
Tout d’abord, la décision de limiter la production au niveau le plus local possible a été mûrement réfléchie. L’ensemble de la façade de la Maroquinerie de Louviers est composé de briques produites à environ 70 kilomètres de Louviers afin de minimiser l’impact environnemental et d’ancrer l’ensemble du projet dans la région normande. Au total, plus de 500 000 briques ont été posées à la main pour construire l’atelier à ossature bois.
L’éclairage était un aspect important, notamment parce que les artisans d’Hermès ont besoin d’une lumière suffisante pour assurer la précision de leur travail. De grandes fenêtres à panneaux reprennent la forme des arcs extérieurs et courent sur tous les côtés de la Maroquinerie de Louviers. Elles sont complétées par des lucarnes inclinées pour diriger la lumière du soleil vers l’intérieur des espaces de travail, afin de limiter le recours à l’éclairage artificiel. Pour alimenter l’ensemble du complexe, l’énergie nécessaire provient de la géothermie et des 2 300 m2 de panneaux solaires installés sur le toit. La combinaison des deux assure une autonomie énergétique.
« Ils voulaient construire le premier atelier ambitieux d’un point de vue environnemental, mais cela correspondait très bien aux valeurs que je défends. C’était donc un privilège pour moi, en tant qu’architecte, de pouvoir réaliser mes ambitions personnelles avec Hermès. Parce qu’il faut pousser les choses et qu’il faut vraiment un travail d’équipe pour arriver à un tel résultat », explique Ghotmeh.
C’est dire si la Maroquinerie de Louviers est une prouesse d’architecture industrielle durable. C’est le premier bâtiment industriel à ce jour à obtenir le label français E4C2. Cette évaluation certifie que l’atelier répond aux critères d’efficacité énergétique et d’efficacité carbone aux niveaux les plus élevés du label.
« L’attention portée au bien-être des artisans était également primordiale dans le cahier des charges de ce projet. Cela m’a beaucoup touchée, car ce que j’aime faire, c’est créer un lieu où les gens se sentent bien », explique Ghotmeh. « Ce n’est pas seulement un lieu industriel où l’on fait du travail. Plus encore, chaque artisan est très lié à l’objet qu’il produit et il y a une sorte de sens de la continuité. Je me suis demandé comment je pouvais réfléchir à cette précision et à ce bien-être par le biais de l’architecture, et lui permettre d’être un moyen pour les gens d’améliorer – même les artisans – la relation avec le travail ».
Dès que l’on pénètre dans l’entrée principale de la Maroquinerie de Louviers, les ateliers de sellerie se trouvent sur la gauche. Il s’agit du deuxième atelier de sellerie d’Hermès car, depuis le début, tout ce qui concerne l’équitation est fabriqué dans l’atelier situé juste au-dessus du fleuron du Faubourg. C’est ici que les artisans complètent la fabrication des quatre modèles de selles Hermès ainsi que des brides. L’atelier d’assemblage est situé juste à côté de l’atelier de coupe du cuir. Une arche ouverte sépare les deux espaces afin que les deux départements puissent communiquer librement.
L’organisation des ateliers de sacs et de petite maroquinerie a fait l’objet de la même réflexion. Les zones de coupe et d’assemblage sont également reliées entre elles de manière transparente. A la Maroquinerie de Louviers, les artisans sont spécialisés dans la fabrication du Kelly d’Hermès, de la série Kelly To Go ainsi que de nombreux articles de petite maroquinerie.
L’art de la main est la raison d’être d’Hermès. L’artisan, qu’il soit spécialisé dans la sellerie ou la maroquinerie, travaille individuellement sur l’ensemble d’une pièce, du début à la fin. Les selliers développent une relation étroite avec les cavaliers, car chaque selle est fabriquée en fonction du cheval et de son cavalier. Les artisans de la maroquinerie font preuve de soin et de précision pour s’assurer que chaque création est fabriquée à la perfection, mais comme pour toute autre forme de pratique artisanale, il existe forcément des différences nuancées. Celles-ci sont propres à chaque artisan, à tel point qu’ils sont capables de distinguer une pièce qu’ils ont personnellement travaillée, ce qui témoigne du nombre d’heures passées sur l’une d’entre elles.
Hermès a mis en place une stratégie pour promouvoir sa propre marque de savoir-faire artisanal. En 2022, l’École Hermès des savoir-faire de Louviers a été ouverte pour former les futurs artisans en appui du pôle normand. Chacun des neuf pôles de production d’Hermès est doté d’une École Hermès des savoir-faire afin de favoriser la transmission des savoir-faire au sein de la région. Chaque formation – maroquinerie, coupe, couture – dure un an et trois mois et est entièrement gratuite ; les apprentis reçoivent également un salaire. En revanche, les diplômés n’ont aucune obligation d’intégrer Hermès à l’issue de leur formation.
La Fondation d’entreprise Hermès, créée en 2008, fait écho à cet engagement en faveur de l’artisanat et de l’environnement. Depuis 2014, la fondation organise tous les deux ans un programme d’Académie des métiers où des professionnels sont invités à participer et à mettre en commun leur expertise et leur savoir-faire pour explorer des approches innovantes d’un matériau donné. La dernière édition est consacrée à la pierre et est supervisée par Ghotmeh.
« Il s’agit d’essayer de comprendre le matériau et son histoire, les ressources que l’on peut trouver en France, ce que l’on peut faire avec la pierre et comment la ramener en tant que matériau contemporain, ce qui est le cas aujourd’hui. Nous devons utiliser davantage de matériaux naturels pour être plus neutres en carbone et plus positifs sur le plan énergétique. La pierre est l’un de ces matériaux géosourcés que l’on peut réutiliser », explique M. Ghotmeh.
Pour elle, la fondation est indépendante de ce qui fait la réputation universelle d’Hermès. Mais dans l’ensemble, Hermès se concentre sur l’artisanat traditionnel et ses applications dans un souci de bien-être de soi et de tout ce qui l’entoure. Par exemple, la construction de la Maroquinerie de Louviers a nécessité l’excavation du sol. Afin de préserver la diversité locale, le sol a été utilisé pour créer trois hectares de jardins vallonnés à l’intérieur du complexe, selon le concept de l’architecte paysagiste belge Erik Dhont. La plupart des arbres d’origine du site ont également été conservés.
Il est difficile de ne pas remarquer que les artisans de la Maroquinerie de Louviers sont passionnés par leur travail et semblent y prendre plaisir. Ils disposent chacun d’un poste de travail permanent et, en me déplaçant au hasard de l’un à l’autre, j’ai pu apercevoir des photographies personnelles et des bibelots qui ajoutent leur propre cachet à l’espace, à l’instar de ce qui se passe pour leurs créations, qui sont très convoitées.
Quatre autres ateliers sont prévus pour l’instant. Ce n’est pas énorme, surtout dans le contexte actuel de forte production. Mais il n’est pas logique de raccourcir les délais de production pour courir après les ventes, au détriment de la qualité de l’artisanat. Ce n’est certainement pas la façon de faire d’Hermès. Il faut du temps pour transmettre les compétences et les connaissances, et encore plus pour atteindre le niveau d’expérience nécessaire à la réalisation d’une création Hermès.
Il se peut donc que vous deviez continuer à attendre un Hermès Kelly (ou un certain nombre d’autres modèles). Mais sachez qu’il est fabriqué par un seul artisan, quelque part en France, peut-être même entre les murs de la Maroquinerie de Louviers.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur Hermes.com
Photo avec l’aimable autorisation de Hermès.